
«Je est un autre », proclame en 1980 Philippe Lejeune qui titre ainsi un ouvrage de critique littéraire, reprenant la célèbre phrase de Rimbaud devenue un quasi-programme philosophique. Plus d’un siècle plus tôt, Ahmad Farès al-Chidyaq (1801-1887), Libanais installé à Paris, publie en arabe un livre étonnant, novateur, pionnier : La jambe sur la jambe (1855). Ce titre, non dépourvu de connotations sexuelles, indique tout à la fois la manière et l’attitude familière adoptées par le conteur pour rapporter une longue histoire.
Il est difficile de situer ce texte, de l’inscrire dans un genre, de le placer dans une lignée littéraire : il est sans précédent. Al-Chidyaq se propose de raconter la vie d’al-Faryaq en confiant le récit à un narrateur anonyme, plutôt à un confident (« un khaliss ») qui saura suivre « pas à pas » son personnage, jusque dans les « plis de ses draps». Il crée ainsi un nouveau genre dans la littérature arabe : le roman et surtout le récit autobiographique.